How did the project started?
Célia Jankowski joue dans un groupe bruxellois qui s’appelle Vitas Guerulaïtis, elle y joue de l’orgue électronique et elle chante. Je joue dans un groupe qui s’appelle Guili Guili Goulag, on a joué plusieurs fois dans les mêmes soirées. Un jour, elle m’a dit qu’elle avait un violon à roue, une boîte à bourdon comme le nomme son constructeur, le luthier expérimental français, Léo Maurel. De là, et parce qu’on rigolait bien ensemble aussi (c’est important), on a eu envie d’essayer des choses, sans l’idée forcément de faire un groupe, plutôt l’envie d’expérimenter. On a fait une petite résidence en septembre dernier dans les écuries de la ferme du Biéreau à Louvain-la-Neuve. Célia est arrivée avec ses éléments de batterie personnalisés, son violon à roue et quelques pédales d’effets, moi avec ma harpe, mes pédales d’effets et mes objets (épilateur, crochet, archet...).
On a continué en janvier dans la ferme de Tourinnes qui se situe au centre géographique de la belgique, et petit à petit, le projet a commencé à prendre sa forme actuelle : un travail sur le mouvement répétitif, les résonances harmoniques et les micro-variations sonores. Le nom a été trouvé le soir-même de notre premier concert en mars 2017, OSILASI, qui veut dire « oscillation » en indonésien.
I saw recently you playing the harp, and I like it a lot that you applied the instrument in a more noise-rock context. How did you started playing the instrument?
J’ai commencé la harpe celtique quand j’avais 7 ans, à l’école de musique de Plougastel-Daoulas, village où je suis née, dans le Finistère en Bretagne. J’avais vu cet instrument à un spectacle donné à l’école par un barde-conteur, Myrdhin. À 16 ans, je suis allée au conservatoire de musique, où j’ai fini mon cursus en harpe celtique et où j’ai commencé un cursus en harpe classique. À ce moment-là, j’ai commencé à avoir un souci avec mon instrument, les partitions de musique celtique que j’apprenais commençaient à m’ennuyer et je ne pouvais pas me payer une harpe classique. J’avais envie de jouer avec mes potes, mais quand j’essayais de jouer autre chose que du celtique, ça sonnait tout de suite ringard. Ensuite, je suis partie à l’université, en musicologie à Rennes, et bien que les cours m’ont plu, à l’obtention de mon diplôme, je ne me voyais pas continuer des études supérieures au conservatoire ni devenir professeur de musique. Après l’obtention de ma licence, j’ai donc arrêté les cours de musique et la harpe du même coup, pendant 5 ans.
Je suis partie sur Paris pour des études en gestion culturelle puis en anthropologie, et j’ai plutôt commencé à faire des DJ set et organiser des concerts, j’achetais beaucoup de disques, et j’allais voir beaucoup de concerts. C’est surtout à ce moment-là que je me suis forgée ma culture musicale. Et un soir, Mathieu, le batteur de mon groupe actuel : Guili Guili Goulag, m’a proposé de venir jouer avec lui. On a commencé à improviser pendant plusieurs heures toutes les semaines, dans un imbroglio free-jazz, noise et punk. Par l’expérimentation, j’ai commencé à utiliser des objets et les essayer sur la harpe, pour les sonorités nouvelles que ça apportait. J’avais déjà un micro-contact mais un peu pourri, un pote m’a prêté un ampli, un autre, des pédales et de composants en composants, j’ai commencé à m’équiper et à travailler l’amplification et les effets avec la harpe.
At the same time you weave into the sound West-African music. Has the travel to Africa did influence you?
Je suis en effet allée en Afrique au Burkina-Faso pour jouer avec un koraiste burkinabé, une chanteuse malienne et des amis français, musiciens électroniques. C’était une super expérience, c’est toujours intéressant de jouer avec d’autres personnes, surtout dans ce cas-ci avec des personnes issues de cultures très différentes. Mais le koraiste avec qui je jouais, utilisait la gamme tempéré (gamme occidentale), je ne m’attendais pas à cela. Cela m’a fait réfléchir sur ma propre pratique de la harpe celtique.
En effet, la harpe celtique est arrivée très tard en Bretagne, après la guerre, pris comme symbole parmi d’autres, d’un mouvement de réaffirmation d’une identité culturelle régionale. Ce qui est intéressant de voir, c’est que le répertoire s’est créé sur une certaine idée du répertoire celte, (Irlande, Écosse, Pays de Galle et ancienne Bretagne) mais pas du tout sur le répertoire populaire actif dans cette région, qui lui avait perduré par les chanteurs. Ceci est aussi dû au fait qu’au même moment où ce revival arrive, une autre tradition se meurt, celle de ces vieux chanteurs bretons paysans, car les jeunes commencent à trouver qu’ils sonnent « faux » et pas « en rythme ». Après la guerre, il est de plus en plus difficile de trouver un chanteur qui commence un peu avant le temps ou bien qui utilise des notes un peu en-dessous ou un peu au-dessus des notes que l’on connait dans le tempérament égal. En gros, la modalité se perd au profit de la modernité, qui appelle à des signatures rythmiques où tout tombent sur le temps et des notes « justes ». Et c’est un problème, car la modalité n’est pas pensée en accords de manière verticale comme la musique occidentale savante l’est, c’est une musique horizontale, où le rythme et la mélodie sont pensée ensemble, et donc tout son jeu se trouve dans le timbre, les attaques et les dynamiques qui sont créés sur cette ligne mélodico-rythmique, c’est-à-dire la création de micro-variations qui font qu’elle a cette puissance musicale. Si on lui enlève ça, d’une certaine manière, on l’aseptise. De la sorte, récemment, je me suis rendue compte que la musique celtique que j’avais apprise étant petite, n’était finalement pas cette musique modale bretonne, celle qui groove, qui module dans le son, celle qui accroche, qui a du grain et qui se vit dans l’instant, celle qui se répète mais qui n’est jamais la même. Il faut faire attention, je pense, chacun dans sa propre culture à ne pas gommer à son insu, ses particularismes, il est évident que notre monde tend toujours vers une uniformisation, il faut trouver les moyens de résister, maintenant ces processus prennent du temps. En Bretagne par exemple, le fait que je sache ce que je viens de vous dire est le fruit d’une poignée d’homme dont le chanteur Éric Marchand, qui s’est rendu compte de cela et qui a décidé de ne pas suivre le mouvement, mais plutôt de travailler les particularismes du chant breton, et qui passe sa vie à apprendre aux autres cela. Pour pouvoir changer, il faut déjà être conscient du déplacement sémantique.
Pour en revenir à mon voyage au Burkina-Faso, je ne sais pas depuis combien de temps la gamme tempérée est utilisée sur la Kora, si comme la harpe celtique elle a été incorporée avec, j’ai été écouter depuis mon retour, plusieurs koraistes, même des collectages anciens qui datent de 1970 et il semble que la gamme tempérée est déjà utilisée à ce moment-là, alors que sur le kamélé ou le donso n’goni, des cousins de la kora, ce n’est pas le cas, mais en même temps ces instruments n’ont pas les mêmes histoires, les n’goni étaient utilisés par les bergers et chasseurs alors que la kora était l’instrument des griots, les conseillers des princes.
An obvious reference point for playing harp in a more more ‘experimental’ or ‘off-stream’ way, is of course Alice Coltrane. And free jazz in general — I think of Dorothy Ashby and Phil Cohran. Have they in particular influenced you?
C’est évident, il y a tellement peu de personnes qui utilisent la harpe de manière expérimentale, que les enregistrements de ces fabuleux musiciens ont été très importants pour moi. Si je dois citer les deux qui m’ont le plus influencé je pense, ce serait : Zeena Parkins, qui m’a permis de me rendre compte que la harpe pouvait être électrique et passionnante, ce qui est rare je trouve et Alice Coltrane, pour son jeu sincère et libre, et son groove. Ensuite, il y a Hélène Breschand, une grande dame dans la musique improvisée et expérimentale en France, son jeu en tant qu’harpiste n’est jamais à côté, sans fioriture, j’aime beaucoup son univers et son fin travail sur le son, son album solo Les Incarnés sorti sur D’autres Cordes en 2014 est super beau. Et puis il y a récemment Rhodri Davis que j’ai découvert, ça m’a bien boulversé, son travail sur les résonances, et la polyrythmie à la harpe est bien bluffant. Je n’ai encore pas pu le voir en live, j’aimerais bien. La compositrice Éliane Radigue lui a composé une pièce : OCCAM I, qui est magnifique, à Hélène Breschand aussi : OCCAM XIV que je n’ai pas encore eu l’occasion d’entendre, ce serait bien qu’un organisateur en Belgique les programme!
Après, je crois que ce qui m’influence le plus dans ma musique et qui a toujours été un moteur, c’est mes vinyles de musique électronique (du breakcore à la musique concrète et contemporaine) et tous mes potes qui jouent de la boîte à rythmes passée dans des delays et des distos, les pitchs, les rythmes cassés, les boucles décalées, le son des machines quoi ! Je suis une grosse fan de musique électronique et les couleurs des sons synthétiques, leurs manière si particulière de s’agencer ont été des moteurs pour moi, essayer de les reproduire à la harpe, alors que je ne peux concrètement pas faire sonner les choses pareil, me fait faire autre chose, et me permet d’ouvrir des portes pour jouer différemment. C’est sûr, ça me nourri dans mon jeu, mais je peux en dire tout autant des timbres et rythmes incroyables de pleins de musiques modales du monde (Gamelans indonésien, cithare coréenne, musique gnawas, Zarb iranien...). Plus c’est brut, vivant et que ça groove, plus j’aime. Le dernier en date que j’ai découvert et acheté en vinyle, il y a deux mois, c’est un vinyle d’ethnomusicologie : Afghanistan et Iran, sorti en 1969 sur le label Vogue, collection du musée de l’homme, enregistré en 1956 par J-C. et S. Lubtchansky, c’est magnifique.
What do you actually think about speaking about music in terms of reference to musicians, genres and bands before you?
Nos idées ne viennent jamais de nulle part. Comme dit le biologiste et humaniste Albert Jaquart dans une interview donnée pour le collectif Libre accès en 2010: «chaque fois que j’ai une idée, cette idée est forgée en moi bien sûr, mais a été provoqué par le contact avec un autre, qui disait peut-être le contraire ou la même chose, en tout cas ce qui me rend intelligent c’est ma capacité à rencontrer l’autre, et non pas ma capacité à imaginer tout seul comme un grand des idées nouvelles ». Donc en effet, en tant que musicien nous ne sommes que la multitude des différentes idées que d’autres ont eu avant nous, que l’on réagence différemment avec notre propre personnalité, ce qui crée de nouvelles idées.
On est donc tout le temps influencé par ce qui a été fait, mais j’ai envie de dire que je suis autant influencé par la musique du passé que celle d’aujourd’hui. Je me rappelle d’un débat post-moderne, avec cette idée qu’au XXIème siècle, il n’y aurait plus d’innovation en musique, que tout avait déjà été inventé. Ce discours que reprend Simon Reynolds dans son livre Retromania, sorti en 2011, n’est pas plus pas moins que le discours du « c’était mieux avant ». Je ne pense pas ça, bien que je vois en effet beaucoup de musique figée, de musique « musée » ou de musique « pastiche », je vois aussi aujourd’hui des scènes en pleine effervescence dans les réseaux undergrounds, qui n’ont pas encore d’étiquette, avec des musiciens qui s’influencent les uns les autres, qui se font écouter des trucs du passé, du présent, qui jouent ensemble et qui à eux seuls crée une scène vivante en devenir. Plus tard, je suis persuadée que ces musiciens seront mis sous une étiquette qu’ils n’auront pas décidé, par un critique musical comme Simon Reynolds, qui expliquera ce que ces musiciens ont en commun, car c’est à peu près ça en fait la formation des genres musicaux non ?
Donc, faire référence à des musiques du passé ou à des genres musicaux pour parler d’un groupe d’aujourd’hui, nous permet en effet de le situer, mais je trouve souvent cela trop réducteur pour définir la musique de quelqu’un d’autre. Je trouve plus intéressant d’essayer de faire l’effort de décrire une musique en essayant de parler de ce qui nous touche chez elle, plutôt que d’utiliser des références à des grands noms du passé auquel tel groupe d’aujourd’hui ressemblerait ou donner le nom d’un genre foure-tout qui ne veut plus rien dire tellement que l’on a tout mis dedans.
Am I correct that you come out of the Brussels, french squating and noise scene? Or am I wrong? If so, tell me about your background.
On peut dire ça comme ça, mais je dirais plus la scène électronique en fait. À partir de mon entrée à l’université, j’ai commencé à aller dans des soirées électroniques, en free party et en squat, plutôt dans le milieu breakcore et hardcore à Rennes. Par la suite, à Paris, j’ai organisé des concerts réguliers de breakcore, noise et musiques électroniques expérimentales en tout genre dans les squats et café de Paris avec mon collectif : Musikmekanikcirkus, jusqu’à monter un festival qui reliait plusieurs pratiques artistiques qui avaient toutes en elles un esprit Do It Yourself (du Breakcore au avant-gardes Dada ou Lettristes, en passant par le cinéma élargie (expanded cinema) et les arts numériques et sonores) d’abord sur une île en Bretagne, le festival Indisciplinaire, puis on l’a proposé en format « tournée » aux Pays-Bas, puis il a pris sa forme finale à Paris, on l’a à ce moment-là renommé « Serendip ». Puis en arrivant sur Bruxelles, je me suis investie dans le montage de la galerie E2, je m’occupait des concerts entre autres, puis on a créé un festival, le grand Bal Exophtalmique, puis depuis deux ans, je fais partie du collectif du Barlok, j’organise des concerts, moins régulièrement qu’avant, plutôt des concerts de musiques électroniques, mais pas que.
Would you define your sound as Brussels?
Je sais pas bien, de manière générale, je ne suis pas très à l’aise avec les étiquettes et les notions de communautés, c’est souvent plus complexe que ce que l’on écrit dessus. Mais, si j’essayais de voir ce qui me lierait à un son bruxellois (mais qui est un peu cavalier car je ne vis à Bruxelles que depuis seulement 3 ans), ce serait peut-être un certain éclectisme musical. Je trouve que les groupes belges alternatifs sont souvent traversés de plein d’influences diverses, je trouve ça cool, ça se retrouve aussi beaucoup dans les programmations des lieux. C’est complètement normal à Bruxelles, de mélanger dans une même soirée, différents groupes qui viennent d’horizon sonore fort différents. De fait, les publics aussi sont plus mélangés.
Mais le son bruxellois c’est aussi la musique marocaine, congolaise, turque... et je trouve que malheureusement on retrouve peu, ces groupes et ces publics, dans la scène musicale alternative...
What is your favorite record. :)
Je t’en donne 6, bien que ça été dur de choisir :)